À Bari, petite ville balnéaire du sud de l’Italie, un groupe de jeunes punks tue son ennui dans un parc à coup de Rohypnol et de gin tonic. Au centre de la bande, un curieux personnage semble capter toutes les attentions. Habillé d’une redingote ornée d’un nœud papillon, son style tranche avec les vestes en cuir cloutées et les crêtes colorées. Le poète Charles Baudelaire, débarqué tout droit de son 19e siècle quelques temps plus tôt — à moins qu’il ne s’agisse d’un duplicata produit sur place — s’est rapidement intégré à la petite troupe, devenant pour la bande de traine-savates un véritable maître à penser. Son caractère atrabilaire, ses condamnations misanthropes et ses postures anti-conformistes trouvent une résonance dans l’esprit enfumé des jeunes clampins, qui se disputent son amitié.
Construit comme une chronique de l’adolescence, jouant des codes de la comédie et du sitcom, Charles cache derrière sa désinvolture un regard acéré sur le désespoir social qui ravage le sud de l’Italie en produisant des souches d’individus sans espoir et sans repères. Les sentences du poète désabusé, qui pose sur ce monde en décomposition un œil dont le temps n’a pas altéré l’acuité, offre au petit groupe un dérivatif à la désillusion qui froisse peu à peu ces âmes trop sauvages ou trop candides.
Alessandro Tota livre avec cette facétie douce-amère un aller-retour saisissant entre deux époques; le lecteur convaincu d’être du bon côté du Temps y trouvera matière à se rappeler que la technologie nous a peut-être fait changer de monde mais qu’elle n’a pas réussi à faire changer l’Homme.