Les fleurs rouges (1967-1968) et La vis (1968-1972) nous montraient Yoshiharu Tsuge atteindre la pleine puissance de son art et fonder le watakushi manga (la bande dessinée du moi). Cette troisième parution (chronologiquement le premier volume de l’anthologie consacrée à Tsuge) propose de retrouver l’auteur alors qu’il vient d’intégrer la revue Garo. Il n’en est pas à ses débuts — il a déjà presque dix ans de carrière derrière lui — mais il trouve dans l’opportunité que lui offre le magazine la possibilité de franchir une étape et de devenir un auteur à part entière.
Plus classiques et plus faciles à lire, les nouvelles réunies dans Le marais sont encore marquées par les histoires qu’il dessinait pour les librairies de prêt. On retrouve dans ces premières œuvres le vocabulaire du gekiga, appliqué à des récits d’aventures situés à l’époque Edo. Mais le dessin et la narration témoignent encore de l’influence de Shirato Senpei, l’auteur phare de Garo, et de la figure tutélaire d’Osamu Tezuka.
Pourtant, le ton se démarque du reste du magazine. Ce qui vaut à Tsuge des réactions négatives des lecteurs, qui ne comprennent pas le caractère novateur du Marais et de Tchiko, nouvelles tournant le dos à l’innocence et préfigurant L’Homme sans talent (Atrabile), le livre avec lequel Tsuge concluera sa carrière vingt ans plus tard. Déçu par ce manque d’enthousiasme, Tsuge cesse d’écrire pendant un an et devient l’un des assistants de Shigeru Mizuki, auprès duquel son dessin gagnera en maturité.
Les lecteurs ne redécouvriront les onze joyaux qui composent ce volume que quelques années plus tard, lorsque le talent de Yoshiharu Tsuge les aura définitivement irradiés.